Pombie 1967-2017 – La saga des Gardiens (acte 1, 1967-1971) : Jean-Louis et Michèle PÉRÈS, heureux précurseurs


1967 : Emmanuelle PÉRÈS, fille du premier gardien du nouveau refuge de Pombie

Quand en juin 1967, Jean-Louis et Michèle PÉRÈS, accompagnés d’Emmanuelle, leur fille de 2 ans et demi, arrivent au nouveau refuge de Pombie, celui-ci est en plein travaux: « Il y a tout juste quatre murs qui suintent d’humidité, un toit et des fenêtres ». Le reste est à faire.

Après avoir commencé par tirer un tuyau d’eau depuis le lac situé derrière le refuge, les PÉRÈS sont contraints de s’installer dans l’ancien refuge. Commence alors une première saison compliquée par la présence de l’entreprise CASTELL de Bagnères de Bigorre qui ne terminera les travaux qu’à la fin de la saison, en septembre.
Michèle a ses premiers clients à nourrir : les 6 ou 7 ouvriers pour lesquels elle cuisine avec, comme gazinière, un simple « bleuet de Camping Gaz « ! Ce seront virtuellement les seuls clients qu’ils verront de tout l’été. Et en plus, de mauvais payeurs puisque Jean-Louis sera contraint d’aller en justice pour faire payer les repas par leur employeur CASTELL.

Petit-à-petit, les assiettes, couverts et autres fournitures sont montés au cours de l’été. Un ou deux héliportages ont lieu. Ils seront très rares ensuite. L’hélicoptère ne sera cependant pas totalement absent des 5 années qui démarrent. Jean-Louis est en effet responsable du secours en montagne pour le massif de l’Ossau. La « Protection Civile » viendra quelque fois le chercher même s’il n’aime pas monter dans ces engins.

Pour Jean-Louis commence, au-delà des difficultés de la première saison, une « époque paradisiaque ». Le nouveau refuge voit passer très peu de monde : « Des semaines sans personne ». Jean-Louis devient « seigneur en ces lieux ». Agé de 30 ans, en cet été 67, l’ancien guide et moniteur de ski de Font Romeu, puis de Gourette, passe son temps entre cueillette des myrtilles, framboises, champignons, pêche à la truite dans le lac qu’il alevine avec l’ingénieur des eaux et forêts CHIMITS, initiateur du Parc National des Pyrénées, créé lui-aussi en 1967.

Voie PÉRÈS, sur la face sud de la Pointe d’Aragon

Jean-Louis grimpe aussi beaucoup. C’est son métier. L’Ossau, « nouste Jean-Pierre », est un massif plein de possibilités. L’andésite, proche du porphyre, dont il est fait, multiplie les petites prises et favorise l’escalade. Il ouvre plusieurs voies : la « voie Fouquier » du nom des clients avec qui il fait cette première sur la face est du rein de Pombie, la face sud de la pointe de l’Aragon, la prolongation de la « voie Jolly » appelée la « Super Jolly » qui va jusqu’au sommet de la Jean Santé et une voie à droite de la face ouest du Petit Pic. Il y a aura aussi, la « voie Emmanuelle » réalisée avec sa fille, âgée de 5 ou 6 ans au moment de son ascension : « elle était toute légère, je pouvais la hisser. »

Quand il ne parcourt pas son domaine, Jean-Louis aime inviter ses amis à partager le cadre magnifique de Pombie : derrière le lac et l’Ossau dominateur, devant les longs vallonnements du val d’Arrious.

Emmanuelle, de son côté, lorsqu’elle ne grimpe pas, joue avec ce que la nature lui procure. Elle attrape les têtards, les écrase, les fait sécher pour ensuite les coller sur son cahier et les peindre. Emmanuelle ramasse aussi des racines de réglisse qu’elle essaye de vendre, dès 3 ans, aux rares « passants ». La nature lui procure ses seuls jouets.

Une nuit, dans le petit refuge, les lits superposés se mettent à trembler : « arrête de faire bouger le lit ! ». Un énorme fracas de chute de pierres s’ensuit. Les choucas se mettent à « gueuler ». Une bénévole, qui dort dans le nouveau refuge, sort en courant, affolée : « Les jambons dansent ! ». La nuit, du 13 août 1967, a ses fantômes. Très vite, par le transistor à piles, la famille PÉRÈS entendra parler du tremblement de terre à Arette. Il n’y avait pas de téléphone à Pombie. Une ile !

Fin septembre 1967, les travaux sont finis. Le refuge est inauguré en grande pompe. Deux à trois cents personnes sont présentes. Le sous-préfet arrive en hélicoptère. Des Cafistes viennent de toutes les Pyrénées et même de Paris. Parmi eux, le président du CAF de Pau : Monsieur LABADOT. Michèle est habillée en Ossaloise, comme de nombreux valléens présents. Beaucoup de bergers, vite devenus des amis, sont là. Un groupe folklorique anime la journée. Il aura fallu à Michèle et Jean-Louis 15 jours pour préparer la fête. Dès le lendemain, le calme et la quiétude retombent sur les lieux. Ils sont à nouveau chez eux.

Courant 1967, le refuge d’Ayous ouvre lui-aussi. Les effets de la mise en place du PNP (Parc National des Pyrénées) ne sont pas immédiats. A Pombie, Jean-Louis ne les ressentira qu’au bout de plusieurs années. Les touristes, attirés par le nouveau Parc, commencent par visiter les lieux les plus connus : Gavarnie, Pont d’Espagne et le Marcadau.

La première saison terminée, fin octobre 1967, Jean-Louis « descend » à Toulouse pour démarrer des études de dentistes. Il en sera ainsi pendant 5 ans. En 1972, le diplôme en poche, le couple ira s’installer en Andorre où Jean-Louis ouvre un cabinet. Vacances en été à Pombie, études le reste du temps à Toulouse !
Contractuellement, le refuge devait être ouvert à Pâques et pour Carnaval. Quand, il n’est pas disponible, Jean-Louis se fait remplacer par des copains de dentaire ! Personne ne monte, ils sont obligés de manger toutes les provisions !

Saison 1968 : encore plus calme que la précédente. Les ouvriers ne sont plus là. Isolés, là-haut, les PÉRÈS voient de loin les soubresauts de la nation française. Mai 68 est bien loin. Inquiet, Jean-Louis achète toutefois, en Andorre, un fusil et une paire de jumelles. On ne sait jamais si des « desperados » venaient à passer par là !

Crédit H. BUTEL – Pointe Aragon

Le manque d’activité du refuge est compensé par l’activité de guide d’alpinisme ou de raid de Jean-Louis qui travaille aussi comme conseiller clientèle en magasin de sport. Michèle, de son côté, fait des remplacements d’infirmières et travaille, en hiver, comme « jardinière des neiges » à Font Romeu. Ces emplois cumulés permettent à toute la famille de tenir 5 ans à Pombie. Sans eux, cela n’eut pas été possible.

A Pombie, Michèle monte la garde au cas où du « monde » passe. De longues journées à attendre. Il n’y a pas de téléphone. Seul le courrier arrive à l’hôtel, chez Casadebaig, au col du Pourtalet. Rapidement, avec l’aide des bergers, elle apprend à faire de bonnes garbures. Le fromage de brebis atterrit bien logiquement sur la table, de même le grueil qu’elle apprécie particulièrement.

En 1970, la famille s’agrandit avec la naissance de Thomas. Il est baptisé, sur les berges du lac de Pombie, par le curé de Foix, l’abbé SIMORRE, entouré d’une assistance composée principalement de bergers… et de moutons !
Ses premières années se passent sur la « plage », au bord de l’eau. Laissé seul, c’est à Marquise, l’ânesse, que revient la garde du bambin. Si celui-ci vient à trop s’approcher de l’eau, elle le repousse du museau. Mieux encore, si le danger se précise, Marquise pousse alors de grands cris d’alerte à destination des parents. Qui a dit « bête comme un âne » ? D’ailleurs, quand la neige vient à tomber et couvrir le sol ou quand le brouillard arrive, Marquise, trouve toujours la voie plus rapidement que son guide.

L’ânesse fait partie intégrante de la famille. Non seulement, elle a la garde du jeune Thomas, mais c’est aussi à elle qu’il appartient de porter les plus lourdes charges, pour approvisionner le refuge. Jean-Louis doit toutefois l’entrainer. En début de saison, ce sera pour elle 60 kg, à la fin 100 kg. Pour le gardien, la charge commencera à 25 kg pour terminer à 50kg.
Marquise sait aussi trouver sa nourriture dans les endroits les plus improbables. Un jour, elle ouvre, avec sa lèvre, un sac à dos laissé là à l’entrée du refuge pour y manger un chapeau de paille ! Le propriétaire écossais s’en souvient encore.
Fin octobre 1971, pour célébrer leur départ définitif les PÉRÈS organisent une fête. Ce jour-là, Marquise se « soule la gueule à l’Izarra » ! L’histoire ne retient pas s’il s’agit d’Izarra jaune ou verte.

D’autres animaux ne sont jamais loin. Bien avant que ne soit créé le Parc National, les izards sont protégés par une réserve naturelle nationale. Ils sont nombreux autour du refuge dès 1967. A force de les observer, Jean-Louis se rend compte que, quand le mauvais temps menace, ceux-ci descendent toujours juste sous la limite pluie/neige.
Un jour, en été 68, descendant sur Gabas, par le talweg qui cours le long du ruisseau de Magnabaigt, Jean-Louis repère des traces de griffe. Un ours ? Il continue sa descente, sans faire de bruit, et… tombe sur l’animal qui, en le voyant, fait un bond et file à toute vitesse. Un peu plus tard, il sera à nouveau observé du côté du refuge de Pombie.
Les mulots s’installent au refuge dès que ses occupants ont terminé la saison. Au début de la suivante, les étiquettes des boites de conserves sont toutes mangées. Bien malin qui sait ce qu’il y a dans les boites : Choux ? Petits pois ? Haricots ou fruits au sirop ?
Les mulots ne sont pas les seuls à faire des ravages. Le frigidaire à pétrole n’est pas encore arrivé, le gigot est enfoui dans un névé pour le conserver. Michèle se laisse aller à la contemplation des nombreuses hermines qui jouent sur le névé jusqu’à ce qu’elle réalise, qu’elles ont creusé une galerie jusqu’au gigot dont elles se repaissent !

Les clients arrivent tout de même. Souvent, ils deviendront des amis. Un jour, de grandes clameurs proviennent de derrière la raillère, en direction du col de Suzon. Une famille, de 3 ou 4 personnes, avance péniblement. Jean-Louis les guide de la voix. Le père de famille est aveugle. Mr DOUTREUWE est avocat à Rochefort. Sa femme qui l’accompagne est sa secrétaire. Elle lui tape les plaidoiries en braille.. Ils veulent faire l’Ossau. Jean-Louis les y mène.
Une amitié va naitre. Ensemble, ils feront le Balaïtous et le Vignemale. Encordé, Mr DOUTREUWE est plus à l’aise avec les mains que sur les jambes. Un couple atypique qui eut 5 enfants. Il ne s’arrêta pas à la montagne puisqu’ils firent aussi du voilier. Beaucoup de courage pour l’un et l’autre.

Parmi les clients, les espagnols sont présents dès le début. Franco règne d’une main implacable. Les « tricornios » (gardes-civils) gardent fermement la frontière. Les grimpeurs espagnols la passent alors « en douce ». « Fauchés, sans un rond », ils ne pénètrent que dans la partie non-gardée du refuge et dorment dehors. La passion du « Midi » est plus forte que tout pour eux.

Une douzaine de japonais arrivent au refuge. Ils portent tous des tongs au pied et ne parlent pas un mot de français, ni d’anglais ! Ils plantent une tente au bord du lac. Les PÉRÈS les invitent à manger. Plus tard, en guise de remerciements, quand ils seront de retour au Japon, ils enverront à Emmanuelle des livres et des poupées.

En montagne, le meilleur peut côtoyer le pire. Un jour apparait, au refuge, un solitaire. Il veut grimper à l’Ossau. Jean-Louis lui indique comment rejoindre la voie normale. Ce qu’il ne sait pas c’est qu’il s’agit d’un malade mental sous sédatif. Il s’est échappé de chez lui sans médicament. On le retrouvera mort après trois semaines de recherche.

Jean-Louis PÉRÈS et Michèle chez eux à Riglos

L’emplacement de son cadavre laisse alors à penser qu’il était monté tout droit sur la face sud du Grand Pic. Le seul accident tragique en 5 saisons de gardiennage.

Cinq saisons passent. La famille PÉRÈS quitte son royaume au pied de l’Ossau. « Une des périodes les plus heureuses de ma vie » répète Jean-Louis. Michèle confirme. On veut bien le croire même si les années qui suivent, en Andorre, en Savoie, aux Antilles n’ont pas dû être désagréables non plus. Sans parler de sa vie actuelle, avec Michèle, dans sa « bergerie » située immédiatement sous les Mallos, à Riglos. Pombie, pour eux, c’était il y a 50 ans…

– par Bernard Boutin

 

PS : en 1973, Jean-Louis publiera, aux éditions ARTHAUD, un livre, écrit avec Jean UBIERGO intitulé « Montagnes Pyrénées ». En 1978, avec Robert OLLIVIER, il publiera, chez MARRIMPOEY à Pau, le premier livre sur la traversée des Pyrénées à ski sous le titre « A ski, de l’Atlantique à la Méditerranée par la haute route d’Hiver ».

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